La Loupiote : du bio top
Publié le 1 Avril 2016
Attablée à la rédaction de ce billet, j'écoute d'une oreille distraite la pluie battre inlassablement le carreau et les voitures éclabousser les trottoirs. Cet humide tintamarre m'arrache un sourire : quelque part en Béarn, j'en connais au moins un qui doit se réjouir de ces larmes atmosphériques... Le pluvio-satisfait en question se prénomme Thibaud ; il appartient à cette nouvelle génération de maraîchers bio 2.0, accro aux réseaux électroniques et au bon sens des anciens.
Un billet vert donc aujourd'hui sur BlaBlaCarole, loin du bitume urbain ruisselant mais en plein champ détrempé. Un billet sur Thibaud et sa compagne Séverine, les deux jeunes fondateurs de la "Loupiote", petite exploitation nichée dans la vallée morte du Gave de Pau, où ils pratiquent le maraîchage bio intensif mais pas que. "Respecter le vivant, cultiver un sol nourricier, entretenir le lien social", autant de préceptes en effet qui dirigent les actions de cet éco-lieu.
Thibaud et Séverine, tout à la joie de démarrer leur saison, m'accueillent dans leur petit domaine en compagnie de leur adorable border collie, une belle journée de printemps tout neuf, pour une interview les pieds sur terre.
Il existe une ligne de bus qui dessert la commune où brille la Loupiote : une aubaine pour la citadine volontairement dépourvue de moyens de locomotion carbonée que j'assume être. Une centaine de mètres en bipédie de plus et me voilà dans la place.
Ce n'est pas une première visite pour moi car Thibaud et Séverine, ayant repris le site à l'été 2015, avaient déjà convié notre bande de copains à une joyeuse journée "cartonnade-paillage".
Mais Thibaud, pourquoi avoir fait nos cartons et mis tout ce paillis ?
Thibaud : "Le site était déjà exploité en bio avant notre arrivée mais laissé plus ou moins à l'abandon depuis 2014. Mon objectif était de relancer la production de légumes avec la vie des sols et en perturbant le moins possible la structure du sol. Nous avons donc recouvert le sol en friche dans les "planches" (bandes de terre surélevées - voir photos) d'une sous-couche de cartons d'emballage qui a permis de jouer le rôle de désherbant en faisant écran à la lumière. Et ce tout en permettant les échanges entre le sol et la matière organique issue de la paille que l'on a disposée ensuite au-dessus. De cette façon, la saison des plantations venue, nous avons pu planter et semer directement à travers le mulch ainsi formé, sans travail du sol préalable.
Carole : Comment définirais-tu tes pratiques culturales ?
Thibaud : Alors, très précisément, je pratique une micro-agriculture bio-intensive sur un terrain de moins d'un hectare comportant trois serres, dix planches et un verger, de manière artisanale, sans tracteurs ni intrants chimiques et sans nuire à la fertilité des sols. J'emprunte les techniques utilisées en agro-écologie et en permaculture. Mais avant de t'expliquer quoi que ce soit, laisse moi te raconter l'histoire d'un sol mis à nu : on dira que c'est le premier stade, on l'appelle aussi stade "hémorragique". Tu comprends facilement pourquoi : c'est le drame des sols des terres agricoles qui en hiver sont exposés à la pluie et au ruissellement et finissent en partie dans les cours d'eau... Fermons cette parenthèse. Si on n'agit pas sur ce sol, très rapidement il va être colonisé par des plantes dites pionnières, ce sont majoritairement des annuelles (potentille, chiendent, etc) qui vont stopper l'hémorragie en apportant au sol les premiers soins (couverture, décompactage, drainage, ameublissement ou au contraire fixation etc selon la pathologie du sol). Ensuite viennent les plantes biannuelles et les vivaces qui se développent afin de préparer les stades suivants.... Puis les rosacées (les ronces) apparaissent, dont le principal rôle est de faire de l'ombre aux jeunes arbres et arbustes qui poussent et à les protéger des animaux. Et enfin le stade ultime, la forêt ou la lande selon les conditions du milieu. Le maraîcher maintient la terre en déséquilibre contrôlé entre les différents stades, afin de pouvoir cultiver nos chers légumes qui font partie des annuelles (salades et tous les légumes de saisons) et des biannuelles (carotte, artichaut...) mais aussi les rosacées (petits fruits, mûres). Le travail du sol à la Loupiote se fait sans labour, sans le "saigner", mais au contraire en le nourrissant d'extraits végétaux, de matières organiques et en stimulant la vie des sols.
"Dans mon verger, j'associe mes arbres fruitiers à la culture de légumes et à celle de plantes aromatiques ; en cela, j'utilise des techniques issues de l'agroforesterie. Enfin de la permaculture, j'emprunte la gestion efficace des « déchets » du jardin qui deviennent des ressources et le recours aux animaux pour des fonctions variées : notre petite chienne pour chasser les animaux fouisseurs, nos poules pour gratter et fertiliser le sol dans le verger, nos copains pour pailler [humour vert]…"
Les jeunes salades poussent bercées par la musique classique diffusée par un poste de radio solaire...
"Non, sans blaguer, le terme "Permaculture" est un mot un peu fourre-tout qui signifie "agriculture permanente" mais aussi plus largement « culture permanente » et qui incite à une démarche plus globale. En permaculture, on respecte l'ensemble des stades de l'évolution des écosystèmes que je t'ai décrits et cultiver selon ces principes est donc par définition non intensif ; c'est la raison pour laquelle je ne peux pas prétendre cultiver selon les principes de la permaculture sensu stricto, parce que le maraîchage commercial ne le permet pas, contrairement à ce que certains affirment... En revanche, la structure sociale de la Loupiote se veut calquée sur les principes de la permaculture : j'envisage à court terme de développer un tissu économique et humain autour de l'environnement de la Loupiote. Et c'est là qu'intervient notamment Séverine..."
Séverine est aide médico-psychologique et surtout co-créatrice d'un réseau d'intervenants indépendants à domicile, inédit dans le département (aides à domiciles 64) ; elle accompagne dans leur lieu de vie des personnes âgées atteintes de pathologies psychiatriques. Elle est aussi très créative : elle fabrique des objets en carton et des articles décoratifs à base de bois flotté et de plantes sous le nom de Grain de Sève. Mais avant tout, elle fait preuve depuis longtemps d'une grande sensibilité écologique et remet souvent en question ses pratiques de consommation. C'est donc naturellement qu'elle a choisi de soutenir le projet de micro-ferme de Thibaud dans lequel elle envisage de s'insérer à moyen terme. Elle nous explique de quelle manière :
Séverine : "Tout comme Thibaud, j'ai toujours manifesté un intérêt fort pour le végétal et en particulier les plantes aromatiques et médicinales. Les traitements lourds des personnes que j'accompagne au quotidien m'ont souvent interrogée sur les possibilités d'alternatives plus douces. C'est une des nombreuses raisons qui m'ont poussée à projeter de suivre une formation d'herbaliste à l'Ecole des plantes aromatiques et médicinales de Lyon, afin d'être en mesure de conseiller des soins selon des méthodes douces et naturelles. Cette activité future s'insère parfaitement dans le contexte de la Loupiote puisque les plantes aromatiques et médicinales existent au jardin."
Thibaud, précisons-le, n'est pas non plus tombé dans la terre quand il était petit.
Bien qu'il ait toujours ressenti le besoin de travailler avec les plantes et de créer, il a d'abord été attiré par le graphisme et s'est installé comme graphiste-développeur en 2009. D'affreuses migraines causées par l'usage prolongé de l'ordinateur l'ont petit à petit amené à remettre en question cette activité et l'ont encouragé à prendre de la distance avec les écrans et à renouer avec sa passion des végétaux ... Après l'obtention d'un BPREA et une année au Conservatoire des Légumes Anciens du Béarn, il suit des formations en agro-écologie, maraîchage sur sol vivant et en permaculture (notamment à la ferme du Bec-Hellouin). Des stages chez les deux maraîchers bio de la plaine de Nay, il ramènera de précieux conseils en itinéraires techniques. Il continue sans cesse d'apprendre en participant à des journées organisées par des maraîchers sur sol vivant comme Laurent Welsch.
Thibaud : "Il n'existe pas une agriculture mais une multitude d'approches et de techniques. L'agriculture biologique, l'agro-écologie, l'agro-foresterie, la permaculture ne sont pas simplement des alternatives au modèle dominant actuel mais avant tout une éthique de vie. On n'a rien inventé, seulement après 70 années d'une agriculture peu respectueuse du vivant, c'est juste une nouvelle façon plus globale de penser et d'interagir avec notre environnement, sans essayer de le transformer ni de l'adapter à des plantes et animaux standardisés. Je suis pour la revitalisation des sols et par extension pour la vitalité de la nourriture que je produis et des relations entre les individus qui graviteront autour de la Loupiote."
Les micro-fermes intensives comme la Loupiote sont un formidable « retour en avant », elles permettent de nourrir les gens sainement et fertiliser les sols tout en faisant vivre correctement et dignement les producteurs.
Les consommateurs prennent de plus en plus conscience de l’importance de manger local, bio, de mettre un visage sur les gens qui produisent leur nourriture voire dans l'idéal de les connaître, les rencontrer... J’espère de tout coeur que les techniques telles celles que Thibaud et Séverine développent, seront soutenues, partagées, reproduites et améliorées sans cesse.
Ça ferait sens pour beaucoup d'entre nous.
Séverine fait les premières livraisons de salades de la Loupiote dans l'agglo paloise début avril.
Pour toute demande d'informations, laissez votre message sur leur page Facebook ou bien à l'adresse suivante : contact@laloupiote-bio.fr
La Loupiote map