Fred me promet le soleil. Sinon, celui du cœur.

Il nous apportera victorieusement les deux cet avant-dernier matin de février.

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Nous serons dix. Dix personnalités bien trempées arrimées à dix paires de raquettes bleues.

Ce jour-là je pars au-delà du Boulevard en compagnie de Fred, Andrea, Ludivine, Philippe, leurs trois enfants Anaïs, Romain et Elise, ainsi qu'un jeune couple de touristes portugais, Carolina et Felipe.

Direction : la vallée de l'Adour, la seule accessible en cette fin de semaine avalancheuse. Pour faire voler la neige fraîche et légère, goûter au silence feutré de la forêt blanche, s'ouvrir à cet autre tout emmitouflé et encore inconnu le matin même.

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Elise, fière en petit chef de file, creuse la première trace dans la poudreuse immaculée. Pas un instant elle ne se retournera sur nous et ne quittera son monde parallèle pour le nôtre.

Le silence de la forêt qui nous accueille est immédiatement rompu par les rires et la chanson des mots de Carolina et Felipe ; assurément il n'aura pas trop souffert de cette musicale intrusion.

Je n'aurai de cesse de déchausser mes raquettes ; en choeur, et de bon coeur, avec trois autres de mes camarades chaussés aussi peu doués. Fred n'en croit pas ses yeux, eux qui sourient cependant toujours autant. Me voilà rassurée.

La piste aléatoire choisie par Fred, s'écartant souvent des sentiers battus, nous mène sous un grand sapin pour nous abriter du froid soudain et de la neige qui s'invitent à déjeuner. Sitôt sorties de leurs gants, mes mains s'empressent d'enserrer un gobelet de vin chaud. Les épices ont vite fait de me réchauffer de l'intérieur. Deux verres plus tard, je ne remarque même plus la buée qui s'échappe de mes rires.

Le soleil réapparu pour le dessert nous encourage à le rejoindre derrière les branches épineuses.

Nous quittons rapidement notre refuge éphémère à la recherche d'un espace propice à la construction d'un igloo, clou de la balade pour nos jeunes raquettés.

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

C'est le moment que je choisis pour constater la perte de mes lunettes de soleil ; je délaisse alors les petits maçons des glaces pour partir à la recherche des binocles égarées.

Pas fâchée de cette escapade en solitaire, j'en profite pour savourer égoïstement le silence qui m'enveloppe rapidement et photographier la nature figée dans son blanc manteau. Mes lunettes retrouvées rechaussées plus tard, je retourne sur mes pas de géante.

Plus loin, j'aperçois Fred, inquiet, venu à ma rencontre et affairé à me faire de grands signes. Il n'y a guère que mes amis montagnards pour me témoigner cette vigilance ; combien d'entre eux pour me tendre la main quand le vide jure de me happer, me convaincre de continuer quand mes yeux pleurent de fatigue, m'encourager toujours plus alors que ma présence seule leur pèse plus que tous leurs sacs à dos et cordes réunis. Dans les bras de Fred qui s'agitent, je revois le doux sourire de Norbert, ses paroles jamais impatientes, jamais moqueuses, la main rassurante de Nicolas et ses exhortations toujours chaleureuses, la solidarité de Vanessa un jour en Espagne, l'énergie de Guillaume et sa force tranquille qui nous faisaient faire des miracles...

Je souris aux anges et réponds quand même à Fred trop loin pour m'entendre.

Je reprends rapidement ma démarche de canard boîteux vers le groupe énergique ; pendant mon échappée, il a travaillé vite et efficacement.

Je me contenterai de mitrailler toute cette belle volonté et de m'allonger sous la voûte bleutée.

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Nous rechaussons nos raquettes pour une dernière boucle, que nous interromprons pour une minute précieuse de silence, saupoudré de quelques éclats de voix lointains.

Nous alignerons ensuite un instant nos bâtons pour une parenthèse de land-art romantique : Fred nous entraîne dans une chorégraphie palpitante qui aboutira à la création d'un immense coeur blanc. Jolie empreintre éphémère de l'unisson de nos pas.

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Dix paires de raquettes, un igloo et deux plumes

Les derniers que nous ferons croiseront la piste d'un lièvre pressé, seul témoignage de l'occupation des lieux...

Pour ne pas nous séparer trop vite, nous plongerons nos nez rougis à Payolle dans des bols gourmands de cappuccino et chocolats fumants, cidre et sodas pour les plus réchauffés d'entre eux.

Je n'ai pas eu le loisir depuis ce vendredi de dire à Fred le plaisir réel que j'ai éprouvé à faire cette boucle sur neige. Cette eau figée qui me sépare de la matrice, de l'écorce terrestre ne m'aura, pour une fois, pas trop fait souffrir de ce sentiment irrépressible et désagréable de déconnexion.

Oui, même pour 80 malheureux centimètres de neige. Pour moi ils sont déjà trop : trop d'eau me noie.

Mais cette fois, j'ai bien aimé me dissoudre avec ces neuf autres :

Elise, notre petite passagère clandestine, qui aura vécu son aventure parallèle, bâti son propre igloo et piétiné son propre coeur des neiges ; pas facile d'être la benjamine.

Anaïs et Romain qui nous auront honoré de leur belle présence et de leurs beaux sourires.

Andrea qui aura été une fois de plus la jeune fille participative et enthousiaste qui illumine mon existence.

Ludivine et Philippe que j'aurai davantage appris à connaître pendant le trajet du retour ; j'ai hâte de les revoir en plaine et sans bonnet.

Carolina et Felipe qui auront ensoleillé la balade avec leur bonne humeur et leur jolie langue ; je les espère bien rentrés en Angleterre et leur souhaite bonne continuation dans leurs études et leurs tribulations européennes.

Et bien sûr Fred, cet ami qui accompagne dans les Pyrénées aussi bien que sur leur Boulevard. Avec un peu plus d'étoiles dans les yeux peut-être. Je le remercie pour cette escapade inondée de soleil au pays blanc et sa plume magnifique pour la décrire : découvrez sans attendre sa version de cette journée en cliquant ici.

J'aime tant ta plume Fred, elle caresse notre coeur et notre âme.

Je sais que nous, les raquetteurs de ce vendredi-là, ne nous oublierons pas les uns et les autres. Nous avons gravé notre coeur dans la neige.

Et l'eau possède une mémoire, c'est scientifiquement prouvé.